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Le 13 juillet 2021, ACT | The App Association a poursuivi son Tour d’Europe des App Makers . Lors de notre troisième étape en France, des développeurs d’applications locaux, des décideurs politiques, des représentants de l’industrie et des régulateurs ont discuté de l’économie des applications en France et des opportunités et défis auxquels les développeurs sont confrontés aujourd’hui. Notre panel a également débattu de la loi sur les marchés numériques, le Digital Markets Act en anglais (DMA) et de la manière dont elle pourrait affecter les développeurs d’applications et l’écosystème technologique au sens large.

Après quelques remarques préliminaires de Morgane Taylor, directrice générale de l’Europe pour l’App Association, nous nous sommes entretenus avec plusieurs décideurs politiques. Modéré par Morgane Taylor, le panel était composé de :

Si vous avez manqué l’événement, lisez le récapitulatif ou regardez le résumé de 6 minutes ci-dessous. L’enregistrement complet se trouve ici.

Quelles sont les effets de la règlementation, et plus particulièrement la loi sur les marchés numériques (DMA), sur les développeurs d’applications ?

Ouvrant la discussion, Stanislas Dewavrin, CEO et fondateur de Oh Bibi, rappelle que les développeurs d’applications sont en réalité fortement impactés par les législations nationales et européennes, consacrant ainsi beaucoup de temps à la mise en conformité avec ces règlements. Oh Bibi est un studio de développement de jeux mobile basé à Paris et dont le jeu FRAG connaît un succès retentissant avec plus de 100 million de téléchargements dans le monde entier. M. Dewavrin est revenu sur le rapport conflictuel et antagoniste des médias avec les grandes entreprises du numérique, soulignant que « du point de vue des développeurs, lorsque ces géants se sont révélés, ils l’ont fait en améliorant les conditions commerciales pour leurs partenaires ». M. Dewavrin a insisté sur la nécessité d’introduire en Europe, une forme de réciprocité en matière d’accès aux différents marchés de ce monde, notamment le marché chinois, sous peine d’empêcher l’émergence de champions européens du numérique.

Dans sa note introductive, Monsieur le député Éric Bothorel est revenu sur les différentes étapes de la création du marché numérique européen, mentionnant notamment le règlement général sur la protection des données (RGPD). M. Bothorel a souligné que le DMA venait ainsi compléter un dispositif de nature à être accueillant pour le business et en même temps soucieux de la doctrine européenne de concurrence libre et non faussée, soulignant que l’objectif n’est de bannir ou punir personne, mais de stimuler le marché pour que chacun puisse y trouver sa place.

« Le DMA vient compléter un dispositif de nature à être accueillant pour le business et en même temps soucieux de la doctrine européenne de concurrence libre et non faussée [..] l’objectif étant de bannir et punir personne mais de stimuler le marché pour que chacun puisse y trouver sa place. » – Éric Bothorel

En réponse à une question sur l’impact du DMA sur les petites et moyennes entreprises, Monsieur le député européen Sandro Gozi a dressé un constat positif de la proposition de règlement. M. Gozi a souligné que le Parlement européen veillerait à ce que les nouvelles règles en cours d’élaboration garantissent une forme de pluralisme, dans l’intérêt des innovateurs, des start-ups et des petites et moyennes entreprises. Un aspect important mis en exergue par M. Gozi est la nécessité de renforcer la confiance des consommateurs.

Finalement, M. Dewavrin a fourni son point de vue sur l’impact que pourrait avoir une obligation d’accepter des magasins d’applications multiples et de pouvoir télécharger des applications tierces sur tous les produits. Soulignant que cela existait déjà sur les systèmes Android, il a rappelé au panel que les utilisateurs avaient une confiance accrue dans les magasins d’applications des plus grandes entreprises  notamment pour des raisons de sécurité. M. Dewavrin a souligné par ailleurs, qu’en tant que développeur, il privilégie les app stores qui présentent le moins de risques de piratage de ses applications.

Comment la loi sur les marchés numériques (DMA) pourrait-elle avoir un impact sur l’écosystème applicatif, et comment éviter les conséquences involontaires ?

Anne Yvrande-Billon, Directrice économie, marchés et numérique du régulateur français des télécoms (Arcep), a accueilli la proposition de DMA, considérant qu’il s’agissait d’une avancée notable et d’une innovation. Cependant, Mme Yvrande-Billon a indiqué que la mise en œuvre du règlement pouvait être améliorée, notamment en matière de flexibilité. Sur ce point, Mme Yvrande-Billon souhaite « individualiser les remèdes, individualiser les obligations, c’est-à-dire adapter les obligations aux modèles d’affaires et éviter le one-size-fits-all ».

« Il faut améliorer la flexibilité, ce qui veut dire du point de vue de l’expérience des régulateurs sectoriels […] d’individualiser les remèdes, individualiser les obligations, c’est-à-dire adapter les obligations aux modèles d’affaires et éviter le one-size-fits-all. » – Anne Yvrande-Billon

Olivier Fréget, associé du cabinet Fréget Glaser & Associés et membre du think tank Renaissance Numérique, a appelé à la méfiance sur la nécessité d’un tel règlement, relevant d’un choix fondé sur la présupposition de l’incapacité du droit de la concurrence à traiter ces questions. Or, M. Fréget a rappelé le caractère fondamental de l’approche du droit de la concurrence, visant à analyser de manière précise et contradictoire des problèmes soulevés par certains acteurs au sein d’un marché, afin d’y apporter des remèdes adaptés et proportionnés. L’approche dite ex ante du DMA permettrait d’intervenir et d’imposer des remèdes avant même qu’un problème soit constaté, ce qui constitue selon M. Fréget une erreur pour traiter de problèmes qui tiennent à l’innovation. M. Fréget en arrive au constat que « le DMA est tout simplement la règlementation pour la règlementation ».

« Le DMA est tout simplement la règlementation pour la règlementation, en confiant des pouvoirs considérables à la Commission européenne. L’interopérabilité peut être une solution, l’imposer comme une solution générale, ce que le DMA prévoit pour certains acteurs, est à mon avis une erreur considérable de perspective et n’est pas assis sur des travaux économiques suffisamment sérieux. » – Olivier Fréget

Répondant à une question sur la compatibilité entre les impératifs européens de protection des données et de sécurité des produits et d’interopérabilité, M. Bothorel conclut que les deux ne sont pas irréconciliables, soulignant que les exceptions à l’interopérabilité pour des raisons de sécurité des services sont généralement admises, à conditions qu’elles ne soient pas instrumentalisées. Sur le même sujet, M. Fréget souligne que « l’interopérabilité peut être une solution, l’imposer comme une solution générale, ce que le DMA prévoit pour certains acteurs, est […] une erreur considérable de perspective et n’est pas assis sur des travaux économiques suffisamment sérieux. »